Du Drama et des tartines

J'écris et parfois, j'angoisse. J'essaie de combiner les deux.

image_author_Sarah_Bocelli
Par Sarah Bocelli
11 févr. · 4 mn à lire
Partager cet article :

[Writing logs#12] Après le 1er jet, le Déluge, ou techniques de correction d’un manuscrit

Une fois n’est pas coutume, j’ai rangé le drama sous le tapis pour vous proposer une note sérieuse.

Enfin, non, pas sérieuse ; ça reviendrait à dire que je ne suis pas sérieuse le reste du temps. Or, ma prose est d’un sérieux indéniable en toutes circonstances. Disons plutôt une note, euh… Qui se veut utile. Plus utile que d’habitude, je veux dire. Pratique ! Voilà, une petite fiche pratique à destination des auteurices. Le sujet que je souhaite aborder étant, si vous avez bien suivi depuis le titre, les techniques de correction du premier jet d’un manuscrit

Une petite mise en situation s’impose. La voici.

 

[Début de la mise en situation]

Vous venez d’épuiser vos dernières réserves de sang, de larmes et de sueur sur l’écriture de votre manuscrit. (Comment ça, « qu’est-ce qu’on a dit sur le drama ? ») La fierté fait battre votre petit cœur épuisé d’avoir déversé tant de crises de nerf d’efforts et d’émotions dans votre travail. Votre manuscrit. Votre enfant.

Ou plus exactement, son premier jet. Car, vous le savez pertinemment, votre enfant n’est pas fini. Si vous voulez qu’il s’en sorte au mieux dans la vie, qu’il puisse un jour s’envoler de ses propres ailes et s’épanouir telle la fleur sauvage dans la terre capricieuse d’un monde hostile, il est recommandé de ne pas le lâcher tout de suite. C’est-à-dire avec ses incohérences mises de côté sous la forme de commentaires “à revoir”, ses descriptions surlignées en jaune car “À DÉVELOPPER”, et ses élans de fougue dont vous n’êtes plus très sûr·e une fois le “moment” passé.

Bon.

Mais dans quel sens aborder le problème ?

[Fin de la mise en situation]

 

Ayant déjà eu plusieurs occasions de me débattre avec la mélasse dans ma tête pour corriger un premier jet, j’ai fini par dégager de mes déboires une méthode de travail. Bien sûr, si cette méthode fonctionne pour moi, elle n’est pas parole d’évangile. D’ailleurs, elle n’est même pas figée. Mais justement parce que je continue d’apprendre de nombreux partages d’expériences, je partage la mienne aujourd’hui.

 

1ère étape : prendre de la distance

Croyez-le ou non, la première étape est… de faire une pause. Une vraie. Que ce soit d’une semaine ou d’un mois. Il s’agit de prendre le temps dont vous disposez – et dont vous avez besoin. D’une part, parce que vous venez quand même d’écrire un premier jet entier, et que c’est pas rien. Vous pouvez vous tapoter la tête en vous disant bravo. Et d’autre part, parce que, désolée, mais vous n’avez plus les yeux en face des trous.

Pas la peine de se vexer. Vous pouvez vous acharner sur vos pages jusqu’au burn out, si ça vous chante. (Mais évitez quand même.) Vous seriez infoutu·e de repérer la plus grosse coquille du monde, fut-elle en gras au milieu de la page. Vous venez de passer des mois, peut-être des années à baigner dans la rédaction de votre roman ; vous n’avez, par définition, pas le recul nécessaire pour juger et corriger votre travail. Alors lâchez-moi ce clavier, et allez réapprendre à ne rien faire. Vous allez voir, ça va vous occuper.

 

2ème étape : en profiter pour faire appel à des bêta-lecteurices

Si vous n’avez plus assez de recul pour relire votre manuscrit, devinez qui en a ? Le reste du monde, oui ! Bon, enfin, calmez-moi cette apoplexie. Je ne vous dis pas d’abandonner votre bébé littéraire dans la forêt sombre du monde extérieur. Quelques bêtes sauvages feront l’affaire. On les appelle les bêta-lecteurices.

J’en ai déjà parlé , et mentionné combien soumettre son travail à un jugement extérieur peut être difficile. Mais aussi la nécessité du processus. Allez. Profitez de votre pause bien méritée pour faire bosser les autres. Ces personnes incroyables qui ont accepté de donner de leur temps pour poser leur regard neuf et candide (ou pas trop) sur votre prose. À votre retour, vous pourrez ainsi commencer par compiler leurs avis, éventuelles suggestions et corrections.

 

3ème étape : exploiter les corrections des bêta-lecteurices

Vous revenez de vacances, l’œil plus frais et l’haleine plus aérée – et mieux ! Vous avez envie de vous remettre sur votre manuscrit. Vous voilà dans les conditions optimales pour étudier les corrections de vos bêta-lecteurices. 

En ce qui me concerne, cette étape est un peu fluctuante. Je vais bien sûr commencer par reporter les corrections d’ordre orthographique, de syntaxe, etc. Mais il faut aussi absorber les remarques d’ordre plus général. De fond. Les bêta-lecteurices sont-iels, dans l’ensemble, raccords ? Ont-iels aimé ou ont-iels des doutes sur les mêmes points ? (D’expérience, y a assez peu de chances qu’iels soient d’accord sur tout, mais sait-on jamais.) La façon dont vous allez commencer à retravailler votre manuscrit va beaucoup dépendre des types de retours : y a-t-il des passages à clarifier ? Des lourdeurs à effacer ? Un rythme ou une structure à revoir ?

Vous n’allez pas forcément tout prendre en compte. La décision finale vous revient. Et si vous n’êtes pas encore sûr·e, intégrez la remarque à votre document sous forme de commentaire, en ajoutant vos questionnements éventuels. Vous serez toujours à temps de trancher plus tard.

 

4ème étape (facultative) : relire à voix haute

Bon. Vous avez intégré les premières corrections à votre manuscrit. Ajouté des commentaires de-ci de-là. Réécrit/développé des passages surlignés pour en surligner d’autres à peut-être retravailler. Si vous avez une sensation de patchwork, c’est normal. Il est plus que temps d’effectuer une vraie relecture, du début à la fin, afin de gérer les incohérences, vérifier la pertinence de réécritures, homogénéiser le tout… Et surtout, de vous remettre dans l’ambiance.

Je préfère y voir une relecture « de loisir », dans la mesure où il faut se mettre dans la peau des lecteurices. À vous de voir ce qui marche pour vous : tout imprimer pour lire dans le canapé ou dans un café, et corriger au crayon ; relire au calme à votre bureau #cozycore, un thé à la main ; ou bien relire à voix haute.

Vous l’aurez deviné, car vous êtes futé·e et lisez les sous-titres : cette dernière technique a ma préférence. Relire à voix haute peut paraître fastidieux, et j’avoue ne pas forcément l’appliquer sur l’intégralité du manuscrit si celui-ci est long. Mais même en me focalisant sur des passages précis, sur lesquels j’ai quelques hésitations, par exemple, c’est une excellente manière de tester le rythme du récit. Si ça se lit bien, si vous y prenez même du plaisir, c’est très bon signe. Inversement, si vous avez tendance à faire des phrases trop longues – je plaide coupable – ou à utiliser trop d’adverbes – bon, zut –, lire à voix haute est une technique imparable pour repérer et corriger ce type d’écueil.

C’est aussi une excellente technique pour ne rien louper si vous avez des problèmes de concentration. (Je plaide encore coupable, mais y en a marre.)

Je ne fais pas ça dans un café, par contre.

 

Dernière étape : la réécriture page contre page… ou passer à l’écriture du second jet

J’appelle ça la dernière étape, mais je triche un peu. À ce stade, vous avez terminé de corriger votre manuscrit. C’est juste qu’il est l’heure de passer à la réécriture. Et oui, c’est un passage obligé.

Réécrire ne veut pas dire que votre livre est mauvais, et qu’il faut tout refaire. Au contraire, à ce stade, vous avez normalement fait le plus gros du travail. Mais sans sombrer dans le perfectionnisme, il faut savoir reconnaître qu’un premier jet peut difficilement être parfait. D’autant qu’il est fort possible que vous soyez incertain·e de quelques passages. La réécriture du premier jet permet d’accéder au boss de fin : la Version Finale. (Avant que des professionnel·le·s viennent mettre leur nez dedans, il va sans dire.)

Là encore, plusieurs écoles, plusieurs situations. Peut-être que vous fusionnerez l’étape précédente avec la réécriture, pour peaufiner et retravailler votre manuscrit au fil de votre relecture approfondie. Ou peut-être que, comme moi la plupart du temps, vous apprécierez de repartir d’une page blanche, de caler votre premier jet à côté… et de tout réécrire.

Je sais que ce n’est pas une méthode très populaire. Mais toujours par rapport à mes problèmes de concentration et ma propension à me sentir submergée, sa rigidité me permet de prendre les nœuds éventuels du récit un à un pour les défaire plus facilement. Et puis, ce n’est pas désagréable d’écrire de manière quasi-ininterrompue après un processus créatif ayant pu être laborieux. Il m’arrive de rentrer ainsi dans une sorte de transe inspirée, et de réécrire de façon fluide et spontanée des passages sur lesquels j’ai pu galérer mille fois auparavant.

Pour finir par poser un vrai point final avec beaucoup plus de satisfaction que si j’avais encore fait passivement défiler les pages.

 

That’s it. That’s la méthode d’une auteurice chaotique.


Photo de riis riiiis sur Unsplash