Du Drama et des tartines

J'écris et parfois, j'angoisse. J'essaie de combiner les deux.

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Par Sarah Bocelli
12 nov. · 2 mn à lire
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[Writing logs#9] Écrire, c’est très sympa jusqu’au moment où il faut écrire

Une note très #witchcore #autumncore #cozycore (et pas très #travailcore).

Je blâme Pinterest et Instagram. (Une stratégie qui ne date pas d’hier.) Déjà, parce que ça me fait du bien de blâmer autre chose que le pois chiche contemplatif qui me sert de QG cérébral. Mais ensuite et surtout parce que ces réseaux sociaux de l’enfer de l’esthétique nous vendent beaucoup trop de rêve autour de l’acte d’écrire, jusqu’au moment où on veut acheter. Là, d’un coup, y a plus personne et démerde-toi.

À la limite, les memes nous rapprochent de la réalité. À défaut de nous réconcilier avec.

Qu’est-ce que je raconte ? Je vais vous dire ce que je raconte, car nous sommes toustes là pour ça : je suis en train de me plaindre (si.) qu’une fois que je me suis préparée un espace de travail convivial et chaleureux… Eh bien, je dois travailler. Parce que, apparemment, les romans ne s’écrivent pas tout seuls.

Et je trouve ça scandaleux. L’esthétique que l’on a créée autour de l’écriture a pourtant tout du rituel de sorcellerie, tout aussi en vogue – et de saison ! Il y a même un mot magique : *cozy*.

Pour invoquer le Démon la Divinité de l’Écriture, il vous faudra :

·      Une ambiance tamisée, à base de bougies et de fairy lights savamment disposées.

·      Un bureau aux allures de showroom Ikea collé à une fenêtre ouvrant sur une forêt brumeuse.

·      Un amoncellement de plaids douillets.

·      Des petites courges colorées, ne demandez pas, ça fait partie du lore, c’est comme ça.

·      Une chaise de bureau qui tient davantage du fauteuil (+1 point de sort si le fauteuil est fluffy).

·      Un mug artisanal de thé/café/chocolat chaud/tisane toujours fumant.

·      Un truc à manger parce qu’il faut pas déconner.

·      Un fond musical apaisant.

·      De la pluie.

(Bonus : un chat. Le pourcentage de chance qu’il s’étale sur votre outil de travail est élevé, mais il ajoutera une touche finale fort appréciable au rituel dont l’esthétisme léché vous vaudra, sinon une productivité folle, une foultitude de likes Instagram sous le hashtag #cozycore-)

Bref, il ne manque que le traçage d’un pentagramme et quelques généreuses pincées de sel, et tout est prêt pour le rite d’abandon au Démon à la Divinité de l’Écriture afin que celle-ci procède, sans plus tarder, à la rédaction complète et avec moult style bien senti des formidables idées qui embrument nos cervelles comme autant de galaxies et nébuleuses inatteignables au milieu du vide.

On peut rêver.

Las ! Si se préparer un petit cocon d’écriture est effectivement un moment très agréable, au moment précis où l’on pose son séant sur la-chaise-qui-tient-davantage-du-fauteuil, la réalité se ramène avec un pot de popcorn et c’est la révélation : il ne reste plus qu’à écrire.

Maintenant, n’exagérons rien. (Ce n’est pas le genre de ce blog.) Si l’acte d’écrire s’apparentait autant au supplice que voudraient le faire croire les auteurices en plein accès de flemme fièvre, bien moins de personnes s’y attelleraient avec autant de détermination fluctuante. Ou alors elles s’arrêteraient à l’étape du thé fumant pour ouvrir un bouquin (écrit par quelqu’un qui a souffert pour les autres) ou buller devant un film ou dormir méditer. Nous ne sommes pas autant de masochistes sur Terre et écrire, ça reste malgré tout un plaisir. Ce doit forcément être un peu addictif, pour qu’on y revienne sans cesse… Non ?

À quoi on pense, quand on se coupe du monde, qu’on s’enfonce mug à la main dans un nid de plaids pour écrire ? Au moment de Grâce. Celui où, allez savoir pourquoi ou comment, un changement très subtil s’est opéré dans un coin du cerveau qui impacte tout le reste - et soudain ! on écrit. Pas laborieusement ; pas deux phrases avant de réécrire la première ; pour une fois, les neurones coopèrent avec les mains et la communication est fluide jusqu’à la page blanche qui se remplit à une vitesse de croisière. Impossible de dire à quel moment l’inspiration a frappé, pourquoi la concentration a fusé plutôt que de se contenter de passer une tête, c’est juste comme ça. À force d’écrire, on a trouvé la porte de notre histoire et on y est, on la vit, on la… crée. Quand le moment sera passé, il ne laissera derrière lui qu’une fatigue agréable et la profonde satisfaction de voir nos idées prendre vie sur une page plus si blanche.

Oui, c’est addictif, un sentiment pareil. Il vaut les nombreux écueils parsemés sur le chemin pour y parvenir.

Là où l’idée d’un démon d’une divinité invoquée grâce à un rituel préparatoire et esthétique flanche quelque peu, c’est quand ce fameux moment de Grâce tend à survenir… quand on s’y est le moins préparé.

Parce que c’est super sympa, de se prévoir une après-midi d’écriture avec une dizaine de bougies et 1L de thé et réussir à s’arracher un paragraphe retravaillé vingt fois !

Sentiments mitigés, toutefois, quand on balance dix pages le cul en équilibre sur un strapontin de TGV entre deux mômes qui geignent et la porte des WC qui claque parce que personne ne fait l’effort de bien la fermer. Where was your god then ?!

Voilà pour la dose de sel du jour.


Photo de Milica Spasojevic sur Unsplash